FRAYLE – Heretics & Lullabies

Date de sortie : 10 octobre 2025

Label : Napalm Records

Genre : Doom, Shoegaze, Post-Metal

Si tu aimes : Chelsea Wolfe, Darkher, Sylvaine, Myrkur

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Et si l’on s’arrêtait quelques instants, le temps de plonger dans l’essence même de notre obscurité ? Depuis sa création en 2017, le groupe Frayle en a fait son credo : explorer les zones d’ombres, les failles intimes, là où la douleur personnelle devient un rituel de transformation intérieure. Originaire de Cleveland, dans l’Ohio, Gwyn Strang, designer d’origine, et Sean Bilovecky, ancien membre du groupe Disengage, n’avaient pas prévu que leur projet personnel prendrait une telle ampleur.

Tout se concrétise en 2020 avec la sortie de leur premier opus, « 1692 ». Le groupe signe chez Aqualamb records, chez qui ils publient en 2022, l’un des albums les plus marquants du post-metal de ces dernières années : « Skin & Sorrow ». Les tournées outre-Atlantique et européennes commencent à s’enchaîner, et 2024 marque un nouveau tournant dans la carrière du groupe avec leur signature chez Napalm Records.

Frayle entame alors l’écriture de son troisième album, « Heretics & Lullabies » poursuivant ainsi l’exploration de la souffrance et de la résilience, avec une démarche bien plus mystique et sombre que dans leurs albums précédents. Enregistré dans leur studio personnel, il aura fallu un an et demi d’écriture pour que l’album voit le jour. Mais cette fois-ci, le duo décide de s’entourer d’un producteur extérieur, Aaron Chaparian, déjà en charge de la production de leur reprise de Lana Del Rey « Summertime Sadness ». Son travail les a tellement bluffés qu’ils ont choisi de lui confier la production de l’intégralité du projet.

Chez Frayle, la création ne s’arrête jamais. Alors que Sean compose constamment des sessions de riffs en vue de futures compositions, Gwyn entretient une sorte de petite bibliothèque de mots et d’expressions, alimentée au gré de ses inspirations quotidiennes, pour nourrir ses textes.

Le duo puise son inspiration dans les profondeurs du doom, du shoegaze ou encore du post-metal, mais c’est dans la manière dont ces influences se mêlent que réside toute la singularité du groupe. Leur univers, leur son, repose sur mille et un contrastes, et ce troisième album en est l’exemple même. La voix angélique de Gwyn flotte au-dessus de la guitare lourde et saturée, créant une tension permanente entre douceur et obscurité. Ici, la guitare ne cherche pas la vitesse, elle enrichit les compositions de gravité. Chaque riff semble avoir été réfléchi pour peser de tout son poids sur l’atmosphère. La batterie joue un rôle capital en installant une ambiance presque cérémoniale, comme si elle scandait un rituel. Elle est mise en valeur par la reverb, à l’instar du titre « Heretic », elle enveloppe l’auditeur dans une sorte de brume sonore, renforçant un sentiment d’immersion totale. Nous sommes comme transportés dans un état méditatif. Quant à Gwyn, elle insuffle aux compositions une présence vocale unique, elle murmure, elle envoûte, elle implore, elle maudit, elle console, mais elle ne crie jamais. Sa voix s’entrechoque parfois au growl de Jason Popson, special guest présent sur les titres « Heretic » et « Boo », comme une caresse ou comme une menace douce amère.

L’album se structure en dix morceaux, explorant chacun une facette de la souffrance humaine : chagrin amoureux et trahison (« Souvenirs of your betrayal »), dépression et lutte intérieure (« Demons », « Only just Once », « Run »), deuil (« Hymn for the Living »), dépendance affective (« Glass Blown Heart ») ou encore l’hérésie (« Heretic »). Gwyn considère l’écriture comme une étape essentielle dans le processus de guérison, lui permettant de transformer ses épreuves personnelles en art. La crise du Covid a fortement influencé ses textes, (c’était déjà le cas sur l’album « Skin & Sorrow »), le groupe ayant dû faire face à de nombreux deuils. Ces thèmes intimes l’expose à une certaine vulnérabilité au point qu’il lui est parfois difficile d’envisager de les chanter sur scène. Cependant, un titre sort du lot, « Summertime Sadness », reprise de Lana Del Rey, une ode sensuelle célébrant la beauté du moment qui s’éteint, titre qui s’est imposé de lui-même pour sa mélancolie.

Les textes ont été pensés comme des chapitres d’un récit intérieur d’une âme blessée, et envisagés comme des sortes de rituels magiques. Ils ont pour la plupart une dimension mystique, proche de la sorcellerie : « Boo » et son rituel d’incantation (« Say my name three times in the mirror »), au même titre que « Demons » (« Say my name and I’ll be here »), « Heretic », qui remet en cause la place de la religion, « Hymn for the Living », où une présence spirituelle semble veiller sur l’auditeur telle une gardienne invisible.

Ce mysticisme se retrouve également dans l’esthétique de l’album. L’image a une importance capitale dans l’univers du groupe, elle est une extension de la musique, un moyen de prolonger une ambiance. Pour dissimuler sa timidité, Gwyn s’est créée un alter-ego scénique qui lui permet de s’exprimer pleinement face au public. Les visuels, les costumes, sont extrêmement travaillés et réfléchis comme l’illustrent la réalisation des trois clips et la pochette de l’album. Cette dernière a été conçue par Jen Pearce et Ron Kretsch. On y retrouve cet alter ego dans une posture à la fois divine et damnée. Son regard est absent, son attitude évoquant une madone protectrice semble pourtant dissimuler bien des secrets enfouis dans le flou artistique qui l’entoure. L’esthétique rappelle les portraits de Pierre et Gilles dans une démarche beaucoup plus gothique. La couleur rouge représente bien l’univers de cet album : la passion, la douleur, le feu du rituel.

Avec « Heretics & Lullabies », Frayle poursuit son exploration de la souffrance personnelle, du désespoir et de la résilience. Cet album est comme une messe noire, où l’obscurité devient un refuge, et résonne comme une berceuse pour les âmes perdues. Frayle écrit pour partager des émotions, un état d’esprit. C’est un album à envisager comme une plongée dans l’âme humaine, dans ce qu’elle peut traverser de plus douloureux. Avec cet opus, le groupe enrichit son doom de textures éthérées, et lui confère des allures de rituels, avec une volonté de « creuser » toujours plus profondément dans l’émotion. Le duo tente de démontrer que l’obscurité peut être douce, et même devenir un lieu où l’on peut se reconstruire.

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