
Oyé, oyé, capitaines de fortune, loups de mer, rats de cale et chiqueurs de goudron !
Les écumeurs et lécheurs de fût s’entassent, gorge sèche et regard hagard, pour écouter la messe du rhum sacré et de la bière, bercés par les promesses d’îles perdues aux trésors improbables, griffonnées sur des cartes anciennes et des parchemins noirs de mystères.
Préparez vos tripes : le nouvel album d’Alestorm, The Thunderfist Chronicles, vous embarque pour des aventures épiques, des fêtes qui durent trois marées, des abordages au clair de lune, des complaintes à faire chialer les mouettes. Ils vont vous souffler une vérité brûlante — des aventures au goût de mer et de poudre, à vous tordre les boyaux, des fêtes à vous décoller le foie, et des ivresses légendaires gravées dans le bois des ponts.
Un riff comme une prophétie. « Hyperion Omniriff », c’est l’épopée terminale d’un pirate en errance cosmique, sabre au clair et regard perdu dans les étoiles. Un vent lyrique souffle sur des nappes épiques, les chœurs montent comme une marée tragique, et chaque note résonne comme un appel du néant. Plus qu’un morceau, c’est une traversée : entre orgueil et solitude, entre grandeur et déchéance. La guitare taille le vide, le chant scande la fin d’un monde, et quand le silence tombe, on sait qu’il ne reviendra pas. Hyperion n’est pas mort. Il est devenu légende.
Pas de répit. Pas de pitié. « Killed to Death by Piracy » déboule comme un coup de hache dans une pinte. Groove assassin, rythmique martiale, chant braillé façon taverne en flammes — c’est une orgie sonore, une farce sanglante où la mort devient blague cosmique. Zombies, cuillères rouillées, balles perdues : tout y passe. Mais une seule mort compte — celle venue de la mer. “Your doom comes from the sea”, hurle le refrain, martelé comme une vérité sacrée. Le monde est divisé : ceux qui trinquent, et ceux qui crèvent. La piraterie, ici, c’est une idéologie. Un refus de crever sobre.
Le chaos après la tempête. « Banana », c’est l’ivresse du vide, le délire post-abordage, la chute en spirale dans une taverne imaginaire. Un violon euphorique ouvre le bal, vite noyé dans un maelström psyché-metal. Tout tangue, tout gueule, tout rit. Le daïquiri banane remplace le rhum, et l’équipage chante comme des survivants trop ivres pour pleurer. “Tonight we’re gonna party like it’s 1699” — ironie tragique, fête grotesque d’une piraterie à l’agonie. La musique cogne, les riffs vrillent, et le refrain pue la bière éventée. « Banana », c’est la gueule de bois du siècle. Une transe en boucle pour ne pas crever de lucidité.
Pause dans l’enchaînement : “Frozen Piss II”, “The Storm” et “Mega-Supreme Treasure of the Eternal Thunderfist” viendront en dernier. Pas un hasard — une trilogie, un climax.
« Mountains of the Deep », c’est une épopée paillarde où la flûte cavale, l’accordéon flambe, les cordes s’emballent et la batterie claque comme une voile en furie. Entre riffs héroïques et chants de taverne, on poursuit une sirène aux seins titanesques comme un Graal absurde. Le refrain cogne, la mélodie saoule, et l’humour débile se transforme en hymne sacré. Car même les pirates ivres morts savent : dans l’abîme, on ne rit pas pour oublier — on rit pour survivre. Et quand la mer nous avale, on veut qu’elle garde au fond ses refrains les plus cons. Les plus beaux.
Quand Alestorm s’empare du chaos gobelin de Nekrogoblikon, la piraterie vire au bain de sang : Goblins Ahoy! à la sauce hachoir. Ça commence par une blague foireuse — “A pirate, a goblin, and a priest…” — interrompue par un cri : SURPRIIIIISE ! Débarquent les gobelins : crasseux, hurlants, bardés d’os et de casseroles. SLICE SLICE – DICE DICE – CHOMP CHOMP CHOMP! Pirates désossés, ponts repeints à la tripaille. Le clavecin se déchaîne, les cors sonnent le carnage, les voix viriles chantent la boucherie. “Let’s make funny hats from their skin!”Carnaval sanglant, humour noir, opéra grotesque : la piraterie coule dans une euphorie de viande. C’est gore, c’est con, c’est génial. C’est « Goblins Ahoy! ». Les rires gobelins s’étranglent, remplacés par un souffle gelé. « Goblins Ahoy! » s’achève en massacre. Ne reste que la pisse gelée… et la vengeance.
Thunderfist, trahi, enseveli sous les glaces, ressuscite par la foudre et la haine. D’un cri, il déchire les cieux : pirate maudit, demi-dieu ivre de rage. Chaque riff fracasse le silence. Chaque chœur brandit la justice sanglante. La mer, le ciel, les entrailles hurlent son nom.
Il combat pour effacer l’humiliation… et retrouver Bournemouth, ville damnée, berceau du serment. Mais un souffle poétique le traverse : Sasaki Shiori chante un poème shinto en japonais. Voix fragile, suspendue dans le froid. Elle invoque les morts et les souvenirs. Le Thunderfist devient plus qu’un revenant : un mythe hanté.
« Frozen Piss II » : opéra grotesque et divin, rugissement sacré d’un pirate devenu légende. Après le cauchemar gelé de Frozen Piss II, « The Storm » est la fureur déchaînée, l’ouragan intérieur qui brise le silence. Si la glace emprisonnait la douleur, la tempête l’exprime en un rugissement indomptable. Porté par les râles d’une vielle à roue fantomatique, le morceau s’ouvre comme un rituel antique, un appel aux forces oubliées. Le narrateur incarne désormais la tempête elle-même, fusion totale entre homme et élément. La colère devient maîtrise, la vengeance se fait renaissance. Au cœur de cette violence, le pacte ancien avec Ve-Eplu, le Veilleur des Courants, ressurgit, scellé dans les glyphes gravés sur les falaises de Bournemouth. La voix rugueuse déchire les “langues noyées”, tandis que les sirènes — gardiennes des fragments du passé — murmurent les secrets oubliés.
Le refrain martial — “I AM THE STORM” — martèle un serment, une incarnation inévitable. La tempête n’est plus une épreuve, elle est un symbole de puissance absolue, un mythe vivant. Tout commence par une déclaration solennelle et épique, portée par un chœur flamboyant et une instrumentation martiale — une levée de drapeau ancestral, souffle d’une légende oubliée. Puis le vent tombe, la mer s’aplatit. La vielle à roue, la guitare sèche et l’accordéon installent un calme fragile, prélude à une ballade rocailleuse et nostalgique, qui raconte la fatigue d’un voyage entamé.
Le refrain éclate en chœur glorieux, promesse scellée, avant qu’une cavalcade heavy speed metal déferle, martelée par batterie, vielle et synthés. La voix rugueuse se fait plus chantante, portée par un solo de guitare sauvage, galop d’acier et de sel. Le morceau s’emballe en punk-folk nerveux et métallique, porté par la vielle virevoltante. Puis, après un râle prophétique, la double pédale explose en thrash brutal. La fête déjantée débute avec une satire alcoolisée de Bournemouth, pirates ivres et violon gypsy en folie. La tempête retombe brutalement : guitare sèche et voix claire de Patty Gurdy apportent un moment suspendu, onirique. La basse initie un power metal tempéré, jusqu’à la ballade claire et posée de Russell Allen, qui fait vibrer la quête intime et sacrée. Retour à l’urgence, la voix abrasée évoque les mythiques Ve-Eplu dans un power metal chaloupé et exalté. Russell Allen conclut comme un roi pirate réclamant son dû, tandis que la musique vire au léger, joyeux, avec vielle virevoltante, puis transition orchestrale à la Pirates des Caraïbes. Mais vient la révélation désabusée, apaisée : « There are no diamonds… ». La quête n’était qu’un mirage, et la vraie richesse réside dans les liens tissés.
Ce dernier volet de la trilogie The Thunderfist Chronicles s’achève sur un refrain final emportant tout dans un chœur implacable, avant un déclin vers un dernier solo monumental, un lever de soleil et un écho hurlé : « Eternal forevermore… » — promesse que l’aventure continue, au-delà des limites. Il n’y a plus de vent, plus de mer, plus de cris ni de chants. Juste une étendue calme où les légendes se dissolvent dans la lumière. « Frozen Piss II »avait tout figé — rires, douleurs, souvenirs. « The Storm» avait tout hurlé — orgueil, peur, métamorphose. Et puis, avec « Mega-Supreme Treasure of the Eternal Thunderfist », la vérité éclate : il n’y a jamais eu de trésor. Seulement ce besoin vital de croire, de chercher, de traverser les tempêtes en se criant vivant. Les figures s’effacent. Le Thunderfist devient murmure dans les vagues, un symbole qu’on transmet sans vraiment y croire, mais qu’on continue de chanter — parce qu’on en a besoin. Le grotesque se fait mythe, le mythe souvenir, le souvenir silence — pas l’oubli, mais l’apaisement.
Au bout du voyage, ce n’est ni l’or, ni la gloire qu’on trouve. C’est le droit de rire de ses blessures, de les chanter jusqu’à ce qu’elles deviennent musique. Et peut-être, un jour, légende.
The Thunderfist Chronicles s’ouvre avec « Hyperion Omniriff », gerbe d’étincelles cosmiques et riff-météore marquant l’aube de l’ère Thunderfist.
« Killed to Death by Piracy » enchaîne, brutal et jouissif, guerre en slip contre le bon goût.
« Banana » explose en cri absurde, banane brandie comme doigt d’honneur.
« Mountains of the Deep » ralentit, mélancolique et majestueuse plongée abyssale.
« Goblins Ahoy! »— reprise déjantée de Nekrogoblicon — détruit tout sur son passage, orgie médiévale punk et bouffonne.
« Frozen Piss II » fige le grotesque glacial, témoignage poignant d’un corps brisé.
« The Storm » répond en tempête maîtrisée, violence mythifiée et renaissance rageuse.
Enfin, « Mega-Supreme Treasure of the Eternal Thunderfist » offre un chant du cygne éclaté, mirage d’une légende consciente de son mensonge, mais chantant quand même.
Derrière ce chaos orchestré, Alestorm transcende le mauvais goût en or, plus libres que jamais, fusionnant ridicule et sublime avec groove acéré et écriture retorse, signature d’excès assumés. Produit par Lasse Lammert au LSD-Studios, architecte fidèle de cette démence sonore, et publié chez Napalm Records, l’album est un monstre polymorphe, capable d’engloutir tous les genres et d’en rire.
Les featurings enrichissent cette fresque :
Sasaki Shiori, voix venue d’ailleurs, écho d’une mer intérieure ;
Patty Gurdy, vielle en poignard enchanté, voix tempête douce ;
Russell Allen, puissance claire et prophétique, voix de cathédrale sur mer déchaînée ;
Ally Storch, violoniste funambule, tisseuse de vents et larmes anciennes.
The Thunderfist Chronicles n’est pas qu’un album, c’est un rituel, une traversée où l’on rit, hurle, tombe, et se relève sans savoir pourquoi. Pas de carte. Pas de trésor. Juste ce besoin vital, ce cri, ce feu. Et peut-être, au bout du voyage, cette vérité : qu’on chante non pas pour trouver, mais pour ne pas se perdre.
Eternal… forevermore.