IGNEA | Entretien avec Helle Bohdanova

Après deux albums remarqués par les fans de metal moderne et oriental, les Ukrainiens reviennent avec un troisième album, Dreams of Lands Unseen, sorti chez Napalm Records. Cette fois, le groupe emmène ses auditeurs en voyage aux côtés de la photographe et journaliste Sofia Yablonska. Interview avec la chanteuse et parolière de IGNEA, Helle Bohdanova.

Crédit photo : Sergii Chernov

Le nouvel album de IGNEA est sorti il y a une semaine. Comment te sens-tu ? As-tu lu les retours des fans ou des médias ?

Je me sens très bien maintenant que nous avons enfin sorti cet album, qui a été repoussé à cause de la guerre. Je suis très heureuse qu’il soit enfin là. Les retours des fans jusqu’à maintenant sont incroyables. J’aime que les gens aiment les différentes chansons et on chacun leur préférée. Tu sais, parfois, on peut faire un album qui aura seulement un hit ou deux. Mais là, les gens choisissent tous une chanson différente, ce qui signifie que l’album a plus à offrir. Beaucoup disent que c’est notre meilleur album. J’espère que les gens vont continuer de l’apprécier.

Comme tu l’as dit, l’album a été repoussé et vous avez commencé à travailler dessus il y a deux ans je crois…

Nous avons écrit l’album en 2021, à 100 %. Il était terminé. C’est la manière dont nous travaillons : avant d’entrer en studio, tout est déjà écrit et peaufiné, car nous avons d’habitude des producteurs exigeants et il nous faut être bien préparés. En 2021, il était fini, nous avions commencé l’enregistrement qui a duré longtemps parce que la guerre a éclaté et nous a empêchés de continuer… Donc oui, ça fait un moment.

Votre album Dreams of Lands Unseen est un concept autour de Sofia Yablonska (Sophie Yablonsca-Oudin), une photographe et journaliste Ukrainienne. Avais-tu déjà entendu parler d’elle ?

Nous avions déjà quelques demos avant d’arriver à ce concept pour l’album. Ces chansons avaient déjà ces mélodies de Chine et du Moyen-Orient. C’est pourquoi j’ai commencé à penser que nous devrions faire un album autour du voyage. J’ai commencé à me renseigner sur plusieurs voyageurs. C’est comme ça que je suis tombée sur Sofia Yablonska, et je trouve que c’est vraiment triste de n’avoir jamais entendu parler d’elle avant. Beaucoup de gens ne la connaissent pas, même ici en Ukraine. Et je pense qu’au delà de l’inspiration qu’elle nous a donnée pour l’album, nous devions partager avec le monde son histoire à travers notre musique.

Je ne la connaissais pas non plus, et en cherchant sur Internet j’ai découvert qu’elle avait vécu en France…

Oui, elle s’est mariée avec un Français et a commencé la photographie en France. Ensuite elle a voyagé pendant un bon moment. Et puis elle est revenue vivre en France. Je crois qu’elle a une petite-fille qui vit en France actuellement. Et toutes les archives de ses photos et écrits sont en France.

Et pourtant, à part sa page Wikipédia, je n’ai trouvé que très peu de ressources sur elle sur Internet…

Oui, et c’est pourquoi cela m’attriste. C’est une des raisons que pour lesquelles nous avons fait cet album. Les gens me demandent où ils peuvent lire plus d’informations, mais je ne peux pas vraiment répondre. Je sais que deux de ses livres ont été traduits en français. Et à part la version ukrainienne, c’est la seule traduction disponible. Je pense que tu peux les acheter sur Amazon ou autre, mais c’est tout. Il n’y a pas de traduction en anglais, et presque aucun article. C’est dommage.

Les paroles de l’album sont donc inspirées de sa vie, mais je crois que pour le nouveau single, « Uncureable Disease », tu t’es aussi inspirée de ta propre vie…

Oui, en fait, quand je lisais les récits de voyages de Sofia, je me suis parfois trouvée quelques ressemblances avec elle. Elle adorait voyager en bateau, elle aimait le fonctionnement même des bateaux. Je suis très inspirée par la mer, j’ai même des tatouages en rapport avec la mer, j’ai un coquillage, des poissons, des vagues… Cette chanson, « Uncureable Disease », est un mix entre l’état d’esprit de Sofia et le mien. Dans les paroles, j’essaie de transmettre l’idée que ma passion pour la mer est une maladie incurable, et même que c’est une maladie contagieuse que tu peux transmettre à quelqu’un.

As-tu découvert d’autres ressemblances avec Sofia ?

Par exemple, lors de ses voyages, elle n’aimait pas visiter les lieux touristiques. Elle avait l’habitude d’aller dans les campagnes et demandait aux gens de l’emmener dans les endroits où les locaux vivaient. Quand je visite une ville, je n’aime pas aller faire du tourisme. Par exemple, si je viens à Paris, je n’irais pas voir la Tour Eiffel. On sait comment elle est, on la voit même dans les films, cela n’a pas de sens. Je préfèrerais avoir des amis français qui m’emmèneraient dans des endroits intéressants où ils ont l’habitude d’aller. En fait, en France, je n’irais même pas à Paris mais plutôt dans des villes plus petites que j’apprécie plus. C’est ce que faisait Sofia. J’ai aussi cette envie de voyager en permanence. C’est pourquoi, avec la pandémie et les confinements, c’était très dur pour moi de rester au même endroit, j’étais déprimée. Voilà quelques points communs, mais il y en a d’autres !

Certaines chansons de l’album sont en langue ukrainienne, est-ce important pour toi de chanter dans ta langue ?

En fait, nous avions déjà sorti une chanson en ukrainien sur un autre album, et j’ai été très heureuse de savoir que les gens l’aimaient. Ils nous disaient que nous devrions en faire plus. Et cela semblait tellement logique puisque Sofia est originaire d’Ukraine, et que nous venons aussi d’Ukraine. Cela collait au concept de l’album, notre décision était prise ! Quand j’ai écrit les paroles, je lisais les récits de Sofia. C’est une très bonne écrivaine. Parfois, les phrases écrites étaient si bonnes que j’ai juste voulu les laisser comme elles étaient écrites, en ukrainien. Les personnes en Ukraine qui écoutent les chansons pourront retrouver des passages écrits par Sofia. Bien sûr, c’est une façon de perpétuer la culture ukrainienne. Certaines personnes entendent pour la première fois notre langue. Je ne dirais pas que nous ne ferons que des chansons en ukrainien, parce que l’on pense que l’anglais est la meilleure langue pour le metal. La plupart des grands groupes de metal chantent en anglais, c’est une langue internationale que les gens comprennent. C’est important pour nous que les gens puissent comprendre les histoires racontées dans nos chansons. Mais je pense que l’on va continuer à sortir des albums avec au moins une chanson en ukrainien, pour conserver une trace de nos origines.

Je ne comprends pas l’ukrainien, mais j’aime beaucoup ces chansons.

Merci ! J’espère que les gens iront chercher les paroles et utiliser un traducteur en ligne pour les comprendre. Je dis toujours que Rammstein chante bien en allemand et que cela ne dérange personne ! On peut toujours traduire.

Le concept autour du voyage correspond parfaitement à votre style car vous avez déjà cette influence metal oriental

Oui, comme je disais, nous avions déjà des démos qui sonnaient déjà comme la bande-son des voyages de Sofia, c’était parfait. Mais si nous avions avant ces mélodies plutôt arabes du Moyen-Orient, nous avons cette fois des sonorités chinoises. C’est aussi oriental, mais vraiment différent, et je suis contente que nous l’ayons fait. Sofia a voyagé plus de 10 ans en Chine. Notre chanson « The Golden Shell » était déjà écrite avant que l’on découvre Sofia. En fait, elle est basée sur un conte de fée chinois, qui s’appelle The Golden Shell.

Je vais devoir faire des recherches, cela m’intrigue ! L’album semble vraiment conçu comme une bande-son de film, réfléchie dans les détails et les arrangements. On entend par exemple le bruit d’un appareil photo….

Oui, nous pensons notre musique comme la bande originale de nos histoires. Yevhenii Zhytniuk, le compositeur, et moi aimons écouter des bandes originales. Cela nous inspire. Et ici, nous avons voulu créer une atmosphère. Dans « The Golden Shell », nous pouvons entendre le bruit des vagues. Dans « Opiumist », tu peux entendre des bruits d’un marché chinois. Dans « Camera Oscura », il y a un breakdown où l’on entend les clics d’un vieil appareil photo. Je crois que c’est surtout des photographes qui reconnaissent ce bruit ! Nous avons essayé d’ajouter ces sons additionnels pour immerger les auditeurs dans nos histoires. J’aime beaucoup quand les autres groupes font cela aussi, et je pense que cela fait partie de notre façon de composer.

L’autre nouveauté de cet album, est la présence d’un guest avec le chanteur de Wolfheart, Tuomas Saukkonen.

Oui, c’est la première fois que nous avons un guest sur un de nos albums. C’est vraiment cool et intéressant. En fait, « Opiumist » est la chanson qui parle de Sofia lorsqu’elle était en Chine et qu’elle fumait de l’opium et conversait avec un vieil homme chinois. C’est pourquoi j’ai voulu créer cette impression de conversation, et je voulais un chant guttural masculin grave, en opposition à ma voix. J’ai contacté Tuomas via notre label, Napalm Records. Je suis contente qu’il ait accepté d’enregistrer son chant car cela complète vraiment la chanson.

Puisque Wolfheart est finlandais, je me demandais si à l’avenir vous pourriez décider d’intégrer de la folk d’autres pays, pourquoi pas les pays nordiques ?

Moi, personnellement, j’adorerais car je suis fan de tout ce qui se rapporte à la Scandinavie. Je suis une personne nordique, j’aime quand il fait froid, je parle un peu norvégien. Pour moi, ce serait parfait ! Mais je sais que notre compositeur et claviériste Yevhenii Zhytniuk, qui écrit toute la musique, pense qu’il y a trop de groupes qui utilisent le folk nordique. Cela n’a plus rien de vraiment unique. Je ne sais pas, peut-être que si on trouve un concept qui le demande, que cela correspond à nos histoires… Peut-être, cela me plairait mais nous ne ferons pas juste pour le faire.

Comme tu disais, vous êtes maintenant chez Napalm Records. Qu’attendez-vous de cette collaboration ?

Je pense que certaines de nos attentes ont déjà été satisfaites puisque nous sommes actuellement en train de faire cette interview et que nous recevons plus d’attention de la part de la presse. J’aime que notre album soit facile à trouver et à acheter dans de nombreux pays, dans de nombreuses boutiques, physiques ou en ligne. Bien sûr, chaque label a des personnes qui sont expertes dans l’industrie musicale, qui peuvent nous conseiller. Notre label ne nous dit pas quelle musique écrire. C’est important pour nous de préserver notre son et notre musique. Pour l’instant, cela se passe bien et j’espère que nous pourrons continuer comme ça avec eux.

D’ailleurs ils ont pas mal de groupes ukrainiens !

Oui, je pense que c’est le plus gros label avec le plus grand nombre de groupes ukrainiens. Pour une raison que j’ignore, ils nous comprennent, je ne sais pas !

Personnellement, je crois que tous les groupes ukrainiens que je connais sont sur Napalm !

Oui, par exemple Stoned Jesus était sur Napalm Records avant et est maintenant sur Season of Mist, qui est aussi un gros label. Somali Yacht Club est aussi chez Season of Mist je crois. Les groupes commencent à arriver, mais cela dépend aussi du genre. Par exemple un groupe de black metal n’ira peut-être pas chez Napalm Records, car cela ne correspond pas au label. Les artistes black metal vont plutôt choisir un plus petit label, un label spécialisé dans leur genre. Mais la scène ukrainienne arrive !

L’Ukraine est toujours en guerre malheureusement, et je suppose que cela vous freine, notamment pour tourner.

La question des tournée est compliquée. L’année dernière, il était possible de partir en tournée via le Ministère de la Culture. Il y a quelques mois, la réglementation a changé car certains artistes ne sont pas rentrés. Ils ont enfreins les règles. Maintenant, tous les groupes d’ici ont des dates programmées en Europe, nous essayons de trouver un moyen de sortir. Nous devons jouer dans plusieurs gros festivals au mois d’août, des groupes ukrainiens sont programmés au Hellfest en juin… Nous faisons notre possible et nous espérons un changement car nous avons envie de beaucoup tourner pour cet album. Notre album parle de voyage, nous devons voyager !

C’est vrai ! En attendant, on peut par exemple vous suivre sur Patreon je crois.

En effet, nous sommes très actifs sur Patreon. Nous avons créé notre page il y a presque 5 ans. Nous avons approximativement entre 450 et 500 patrons selon les mois. Notre communauté est incroyable. Nos patrons nous aident beaucoup, pour pleins de choses. Cet hiver, nous avons subi des coupures de courant et étions plongés dans le noir. Certains nous ont acheté une sorte de centrale électrique. Ils nous l’ont juste envoyé, nous n’avions rien demandé ! D’autres nous ont envoyé des couvertures bien chaudes, des chargeurs et d’autres choses de ce genre. Ils s’occupent de nous, et nous essayons juste de poster chaque semaine du contenu exclusif et de rester en contact avec eux en permanence. Nous avons aussi des messages personnels sur Discord. J’aime bien ce qu’on fait ensemble, j’aime notre communauté.

C’est une manière de vous soutenir en attendant de pouvoir tourner.

Oui. C’est une chose qui nous a aidé pour continuer depuis la pandémie. Patreon est l’une des plus importante pour nous.

Il est l’heure de se quitter, je te laisse ajouter un dernier mot !

Je voudrais simplement te remercier pour cette interview, et dire à ceux qui la lisent d’aller écouter notre album Dreams of Lands Unseen ! L’album est disponible sur toutes les plateformes, en CD et en vinyle. S’il-vous-plaît, écoutez-le du début à la fin, car nous avons créé une sorte de voyage pour cet album. Ne jugez pas seulement un titre, écoutez l’album en entier. Et j’espère vous voir quelque part un jour à l’un de nos concerts !

Merci à Helle et à Napalm Records pour cette interview.

IGNEA - Dreams of Lands Unseen

IGNEA – Dreams of Lands Unseen

Disponible depuis le 28 avril 2023 via Napalm Records.

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