En 2021, l’annonce de la séparation de Delain a été un choc pour les fans. En plein succès, après la sortie d’un album acclamé, le groupe s’est désintégré, laissant son fondateur Martijn Westerholt seul maître à bord. Bien décidé à ne pas laisser sombrer le navire, il rappelle d’anciens membres, et recrute un bassiste et une chanteuse, Diana Leah. Aujourd’hui, Delain est de retour avec un nouvel album, Dark Waters : à cette occasion, Martijn Westerholt a accepté notre interview pour évoquer sa création.
Bonjour et merci pour cette interview. Pour commencer, peux-tu expliquer ce qui s’est passé au sein de Delain pour que tu sois le seul membre restant du line-up précédent ?
Bien sûr. En 2019, tout allait très bien pour Delain, nous avions beaucoup à faire. Je suis responsable d’à peu près tout, par exemple s’il y a un problème quelque part, ou quelque chose qui nous mettait dans l’embarras, c’était à moi de m’en occuper. Nous n’avions pas de tour manager sur la tournée américaine donc je devais tout faire. Je suis aussi producteur de l’album donc je devais aussi m’occuper de faire des retours à l’ingénieur du son, et à peine après avoir terminé notre précédent album, nous sommes aussi partis en tournée européenne, tout en tournant une vidéo. En bref, c’était trop et j’ai fait un burn out qui m’a fait prendre conscience que je devais ralentir. Ce qui signifiait faire moins de concerts. Certaines années, nous faisions 80 ou 100 shows et je pense que c’était trop avec toutes nos sorties. J’ai discuté avec Charlotte Wessels, notre précédente chanteuse, et je lui ai dit qu’à la place de faire ces 80 ou 100 concerts, on pourrait en faire moins, peut-être 40 ou 50. Nous voulions en parler avec les autres membres, mais avant de leur demander, ils nous ont annoncé qu’il voulait tout changer, et qu’ils voulaient tourner sans moi.
Le problème, c’est que je suis responsable car Delain est mon entreprise avec Charlotte, pas la leur. Je leur ai dit que c’était impossible parce que s’il arrive quelque chose, je vais me retrouver avec des gens à ma porte pour régler le problème. De plus, j’adore partir en tournée, j’ai juste besoin de ralentir pour me recharger mes batteries et je n’ai pas envie d’arrêter. Nous avons essayé de chercher une solution pendant un an, et le covid est apparu au même moment. Il n’y avait rien à faire, nous étions trop éloignés dans nos positions. Charlotte nous a dit que si nous n’arrivions pas à régler cette situation et que le changement était trop important pour elle, elle préférait se concentrer sur sa carrière solo. Nous n’avons pas réussi, j’ai pourtant tout essayé. Je leur ai même offert de reprendre le groupe, mais comme c’est aussi une entreprise, cela voulait dire pour eux de l’acheter, et nous n’avons pas pu nous mettre d’accord sur les termes. C’était vraiment compliqué et malgré nos efforts, nous sommes arrivés à cette conclusion, triste pour tout le monde. Les gars sont partis ce qui fait que Charlotte n’a pas voulu rester, et soudainement je me suis retrouvé seul.
Mais il faut savoir que je ne suis pas vraiment seul car dans l’histoire de Delain, l’essentiel de la musique était écrit par moi et mon co-auteur Guus Eikens, et ce depuis le début. Nous avons toujours fonctionné de cette manière. Quand ils sont partis, je me suis demandé si c’était la fin de Delain ou si j’aillais continuer et dans ce cas, de quelle manière. Il faut qu’il ait suffisamment de l’ADN de Delain pour continuer, sinon ce n’est pas possible. J’ai aussi parlé avec des amis et des musiciens d’autres groupes que je connais depuis longtemps. J’ai décidé d’essayer, en tant que projet, car Delain a débuté en tant que projet. C’est comme ça que j’ai annoncé notre séparation. J’étais resté en contact avec d’anciens membres du groupe, comme notre guitariste Ronald, qui a quitté le groupe après l’album April Rain, et notre batteur Zander qui est parti après The Human Contradiction et quelques remplacements en concert. J’étais en contact avec eux, et ils m’ont dit qu’ils adoreraient continuer avec moi, que leurs vies le permettaient. Leurs enfants ont grandi, leurs situations professionnelles ne posaient pas de problème. Je pense vraiment qu’il y a beaucoup de l’ADN de Delain maintenant. Nous allons continuer en tant que groupe, d’ailleurs ce n’est même pas moi qui a eu l’idée mais Ronald.
Et bien sûr, pour compléter le groupe, il a fallu recruter une nouvelle chanteuse. Comment as-tu découvert Diana Leah, qui est nouvelle dans la scène metal ?
En effet, quand nous avons décidé de continuer en tant que groupe, il a fallu rechercher une chanteuse. J’ai demandé à beaucoup d’amis autour de moi, à des groupes si ne connaissait pas quelqu’un. J’ai regardé sur YouTube, il y a des chaînes où des personnes publient des reprises de groupes de metal. Je suis tombé sur celle de Diana. Elle a fait des reprises de Nightwish et Within Temptation, mais aussi de popstars, beaucoup de choses, et j’ai été vraiment impressionné par sa voix. J’ai retenu son nom, en pensant que je devrais peut-être la contacter pour voir… Et la même semaine je crois, j’ai vu un commentaire qu’elle avait laissé sur Instagram, quelque chose comme «si vous recherchez une chanteuse, vous savez où me trouver» avec un clin d’œil. Une telle coïncidence, c’était le signe que je devais vraiment la contacter. Je lui ai envoyé deux ou trois nouvelles chansons et d’anciennes chansons de Delain, «Masters of Destiny» et «Burning Bridges». Ce sont des chansons vraiment difficiles vocalement, j’ai trouvé ça un peu méchant de ma part mais il fallait que je sache si elle était capable de les chanter. A ma grande surprise, elle m’a renvoyé les chansons dès le lendemain. J’ai écouté et je suis tombé de ma chaise. J’étais très surpris et étonné par la qualité de son travail. Nous l’avons invitée aux Pays-Bas pour discuter et jouer un peu ensemble. Voilà comment elle nous a rejoints !
Etais-tu inquiet au moment de la présenter au public ? Une nouvelle chanteuse est un grand changement et certains fans peuvent avoir des réactions négatives.
Bonne question. En fait, je n’ai jamais stressé parce que c’est en effet un moment décisif. Ce que nos fans et les gens allaient penser sur la chanson, la chanteuse… Tu as raison, un changement de chanteur, soit ça marche, soit ça rate. Il faut avoir de la chance, pas seulement de la chance même si ça compte, mais c’est un gros changement c’est vrai. Les réactions ont été nombreuses et tellement positives, bien meilleurs que celles que dont j’avais rêvé ou espéré, je suis vraiment reconnaissant pour ça.
Est-ce que les chansons été déjà écrites quand Diana est arrivée, as-tu dû les adapter pour elle ?
Certaines parties étaient déjà écrites, d’autres l’ont été une fois qu’elle a rejoint le groupe. Je n’ai pas eu à changer des choses parce qu’elle n’en était pas capable, au contraire elle a fait des choses surprenantes et vraiment géniales. Elle a aussi chanté avec une voix plus classique, du style opéra sur certaines parties qu’elle a improvisées. Tout le processus a été très facile, que ce soit pour les voix ou le reste, tout a semblé facile et habituel, c’était vraiment cool.
Diana a aussi participé à l’écriture de textes, elle a déclaré avoir écrit «Moth To A Flame» par exemple.
Tout à fait. En fait, la plupart des paroles ont été écrites par ma femme, Robin (Robin La Joy, également membre de l’autre groupe de Martijn, Eye of Melian – ndlr), dont l’anglais est la langue maternelle. Elle vient des Etats-Unis et aime beaucoup la langue et l’écriture, ce qui est une chance pour moi. Mais Diana a écrit les paroles de deux chansons : «Moth To A Flame» et je crois «Tainted Hearts» ce qui est vraiment génial. Diana et Robin ont vraiment bien travaillé ensemble sur les paroles, c’était un processus très organique. Je suis content que Diana se soit impliquée dans l’écriture, peut-être qu’elle écrira plus à l’avenir, ce serait super.
Peux-tu nous en dire plus sur ces textes ? C’est la première fois que Robin écrit pour Delain ?
Oui. Avant le split, je n’aurais jamais pensé à cette possibilité. Charlotte écrivait la majeure partie des textes, elle est vraiment douée pour ça. Mais après le split, il n’y avait qu’une seule chose logique à faire. Je me suis dit, pourquoi ne pas demander à Robin, juste pour essayer, voir ce que ça donne, et sans m’en rendre compte, elle avait déjà écrit 80 % de l’album. C’était surprenant mais j’ai été vraiment chanceux à ce niveau-là.
Lui avais-tu donné des indications sur un thème ou une atmosphère que tu voulais donner à l’album ?
Non, je pense que la liberté artistique est très importante. En ce qui concerne la musique, bien sûr que j’ai une idée très précise de comment cela doit sonner. Mais pour les paroles, j’ai laissé une liberté totale à Robin. Elle adore le metal et la fantasy, les paroles vont donc un peu plus dans cette direction mais elle s’est inspirée aussi du processus en lui-même, du changement dans le groupe. On peut le sentir sur certains passages, mais elle a pris cela comme point de départ mais pour aller dans des extrêmes. Une partie est fictionnelle. Par exemple, il y a un rock opéra dans l’album (Invictus – ndlr), très fictionnel mais qui s’inspire de la vraie vie.
Vous avez dévoilé en guise de premier single la chanson «The Quest And The Curse». Je dois dire que j’ai été un peu surprise au départ car la chanson sonne vraiment comme du Delain classique, le Delain de ces dernières années. Quand tu as dit que le groupe ferait un retour à ses racines, certaines personnes ont pu croire que l’album se rapprocherait d’un son à la Lucidity, le premier album sorti sous forme de projet, ce qui n’est pas du tout le cas.
Je pense que certains éléments sont un retour à la source, comme par exemple les growls dans «The Quest And The Curse». C’est un peu plus du Delain classique, mais tu sais, en tant que musicien tu te développes donc la façon dont tu écris ne peut jamais être soudainement un retour en arrière 20 ans auparavant, car tu n’es plus la même personne. Je faisais aussi allusion aux personnes qui sont sur cet album. Nous avons des invités bien sûr, qui ont déjà fait des apparitions, ainsi que des membres originels. C’est presque le même line-up que sur April Rain, sans Charlotte bien sûr. Nous avons aussi travaillé avec le même artiste qu’auparavant pour l’artwork. Il y a beaucoup de choses qui nous ramènent au passé de Delain. En effet, j’ai lu beaucoup de commentaires de personnes qui pensaient que ce retour aux sources ramènerait à Lucidity. C’est logique puisque au début, je pensais que la seule façon de continuer Delain serait sous forme de projet, et Delain a commencé en tant que projet.
Depuis le début, sur chaque album, on retrouve des invités. Est-ce quelque chose dont tu as besoin peut-être pour rester créatif ?
Ce n’est pas tellement un besoin mais plutôt une envie. J’adore cela car cela amène de la fraîcheur à chaque fois. Nous avons travaillé à nouveau avec Marko Hietala, connu pour son rôle au sein de Nightwish, qu’il a quitté il y a quelques années maintenant. Nous avons travaillé avec lui sur d’anciens albums : Lucidity, April Rain, The Human Contradiction, bref sur plusieurs albums, et pourtant à chaque fois je suis surpris du résultat, et j’adore ça.
Effectivement, j’ai été surprise de voir le nom de Marko parmi les invités, sachant qu’il voulait s’éloigner du monde de la musique.
Je n’ai pas ressenti cela comme ça. Marko et moi sommes avons tous les deux traversé une période difficile avec tous ces changements et nous étions restés en contact. Refaire de la musique ensemble était comme ça l’a toujours été. Il va mieux et fait toujours de la musique, donc je pense pas que c’est sa dernière chanson.
Je pense que les fans seront heureux de l’entendre sur le nouvel album, c’est vraiment une bonne surprise.
Oui je pense aussi. C’était vraiment sympa de retravailler avec lui et les autres, c’était retrouver son chez-soi. Je crois que j’ai eu beaucoup de chance car il avait dit qu’il ne travaillerait pas sur des projets. Il a déménagé en Espagne et il m’a dit ne pas avoir emmené de matériel là-bas. Je lui ai dit, «Tu sais quoi, je vais prendre l’avion jusque chez toi avec le matériel nécessaire, tu n’auras qu’à chanter et une heure après je repars.». Il m’a dit «Fantastique, faisons-ça !». Comme ça, il n’avait à penser à rien. Bien sûr, je suis resté plus d’une heure, je suis resté le week-end mais l’enregistrement n’a pris seulement qu’une heure.
Mis à part la présence de Marko, «Invictus» est une chanson assez spéciale.
Oui, c’est vrai. En tant que musicien je dirais que chaque chanson est spéciale, même si c’est toujours un peu tarte de dire ça, sinon elle ne figurerait pas sur l’album. Mais je vois ce que tu veux dire, elle est un peu la cerise sur le gâteau car c’est comme un mini-opéra, il y a beaucoup de choses dans cette chanson.
L’album s’intitule Dark Waters, et l’artwork fait référence à la piraterie. Pourquoi ces choix ?
Pour la référence aux pirates, nous avons en fait voulu l’effacer un peu. Bien sûr tu vois que le personnage a un chapeau de pirate sur cet artwork de Glenn Arthur. Nous travaillons avec lui depuis des années, sur We Are The Others, Moonbathers et quelques EPs. C’est devenu le style facilement reconnaissable de Delain, et comme nous retrouvons l’essence de Delain, c’était parfait, je voulais vraiment ajouter cette pièce au puzzle. Il y a une référence à l’eau car Delain revient de très loin, de profondeurs qui l’ont presque noyé. Mais le groupe est remonté à la surface, et cet artwork de Glenn était disponible. Il nous a autorisés à l’utiliser et a enlevé quelques détails comme un cache-œil et d’autres éléments, mais en conservant l’élément qu’est l’eau, très présent dans cet album.
Je vois des ressemblances avec Moonbathers pour l’artwork, et même musicalement. Penses-tu qu’Apocalypse & Chill était un peu trop expérimental pour Delain ?
Non, je ne dirais pas cela. J’adore cet album, mais je comprends ton sentiment. Les chansons sont plus proches de Moonbathers, mais ce n’était pas un choix conscient. Quand tu écris, tu prends une direction ou une autre, tu ne sais pas à l’avance où cela te mène. Ce qui compte le plus c’est que cela vienne du cœur, je n’aime pas trop l’écriture analytique, pour moi la musique est une émotion et doit venir de ton âme. Tu ne peux pas prévoir ce qui ressortira sur chaque album. A chaque album je dis que c’est notre album le plus heavy, mais ce n’est pas comme ça que ça marche. C’est un peu comme faire du pain. Tu peux mettre la pâte au four et ton pain ne sortira pas exactement comme celui qui tu as fait juste avant. Il y a effectivement des similarités avec Moonbathers, mais aussi We Are The Others.
Une fois que Dark Waters sera sorti, à quoi devons-nous nous attendre pour cette nouvelle ère ? Moins de concerts, uniquement des concerts exceptionnels par exemple ?
Bonne question. Delain va reprendre comme avant. Nous allons faire moins de concerts, comme je te l’ai dit tout à l’heure, au lieu de faire 100 concerts, nous en ferons 50. Le burn out m’a appris qu’il faut faire les choses avec modération. Si les gens ont peur que nous ne fassions que 10 ou 20 concerts, même moins : non. Nous ferons des tournées en Europe, aux Etats-Unis, en Amérique du Sud, des festivals, mais en prenant en compte notre santé. Cette année nous commençons en douceur, car je veux que les nouveaux membres puissent d’abord s’habituer à vivre en tournée. Il y a aussi la période post-covid qui joue : il y a beaucoup de groupes qui tournent en ce moment, il faut faire attention à cela. Mais nous travaillons sur une seconde tournée européenne. Pour la France, nous travaillons sur de nouvelles dates, à Bordeaux, Lyon… Il y a donc plus de dates à venir maintenant que Delain est de retour en tant que groupe. Je ne pensais que ce serait possible, mais avec le retour d’anciens membres et l’arrivée de nouveaux, il y a une bonne ambiance au sein du groupe. Pour la première fois, j’ai l’impression que nous sommes tous amis, et ce n’était pas toujours visible, et ce n’est pas forcément grave. Parfois tu as des collègues, parfois des amis, parfois un mélange des deux… On s’amuse bien et je suis très heureux et soulagé de voir comment les choses ont finalement évolué.
Merci d’avoir pris le temps de répondre à mes questions. Souhaites-tu ajouter une dernière chose ?
Merci à toi, et merci aux fans de Delain qui ont toujours été très loyaux. Ils sont très importants car c’est grâce à eux que Delain existe, et j’en suis très reconnaissant. J’ai reçu beaucoup de soutien de fans durant cette période douloureuse qu’a été le changement dans le groupe, et nous les avons impliqué. Nous avons fait quelques concerts l’année dernière avant d’annoncer Diana et Ludo (Ludovico Cioffi – basse) comme nouveaux membres. Nous les avons invités, sans avoir à acheter de billets. C’était juste une salle de concert remplie de fans et de personnes qui aiment le groupe. C’était très émouvant, certaines personnes pleuraient, j’ai moi-même versé une larme, et je ne les oublierais jamais.
Merci à Martijn Westerholt et à Sounds Like Hell Productions. Interview réalisée par visio le 18 janvier 2023.
DELAIN – Dark Waters
Sortie le 10 février 2023 via Napalm Records.
Une réflexion sur « DELAIN – Entretien avec Martijn Westerholt »