MORMIEBEN – Entretien avec Gobrian

Le groupe pirate metal Mormieben vient de sortir son nouvel album, De Charybde en Scylla. Gobrian, capitaine de l’équipage originaire de Clisson, revient avec nous sur sa conception, sur l’écriture en français et sur les prestations live marquantes de cet été.

Mormieben - Interview
Photo : Gaël Hervé

Pour commencer, peux-tu nous parler de la formation de Mormieben, et comment est venue cette idée de concept autour du groupe ?

Le groupe a 11 ans, on est même sur la 12ᵉ année, je crois. Cela a commencé quand j’étais au lycée à la Joliverie, à Nantes, le bassiste Jordan était un de mes amis. Il avait un groupe avec son frère et des amis, mais ce groupe allait splitter. Il cherchait à en remonter un. Il y avait le guitariste, le bassiste, le batteur, mais pas de chanteur. Donc je me suis proposé. Au départ, pas très sérieusement, c’était une curiosité pour moi. Je me suis dit allez, pourquoi pas ? Et je suis venu aux premières répètes. Puis ça a continué et au final, le groupe s’est formé.

Au départ, on ne faisait pas du tout du pirate metal, mais du punk celtique. Et quand on s’est rendu compte que c’était pas terrible ce qu’on faisait, on s’est dit qu’il faudrait changer de bord et pratiquer de la musique un peu plus qualitative. Nous est venue l’idée du pirate metal qui nous a tout de suite séduits. Etant aussi un peu passionné d’Histoire et de l’ère de la piraterie en général, en sortant du contexte Disney de la chose et en explorant un peu plus le côté mythologique, légendaire et historique, on a voulu pouvoir faire quelque chose de bien à nous, avec un univers qui nous est propre et qu’on a développé au fur et à mesure du temps.

Ce qui vous démarque aussi, c’est le chant en français. Est ce que c’était tout de suite une évidence, ou est ce qu’il y a eu des discussions au sein du groupe pour imposer le français ?

Le fait de chanter en français est complètement voulu de notre part. C’est un choix que l’on assume et qu’on défend même, puisque le chant en français est très sous représenté. Il n’existe même quasiment pas sur la scène, très très peu de groupes osent le faire parce qu’ils savent qu’ils vont au devant des critiques. Les fans de metal sont très exigeants là dessus aussi. On savait pertinemment que si on se mettait à faire du chant français, il fallait le faire dans un contexte vraiment propre et qu’il fallait surtout se démarquer.

Moi, ça me gêne pas. Au contraire, je l’assume. C’est plus une force qu’autre chose puisque je suis bien plus à l’aise pour chanter, pour écrire les paroles et sur la flexibilité du vocabulaire. On se permet de remettre au goût de jour certaines expressions, certains mots qui sont un peu oubliés. On y inclut de l’argot aussi, beaucoup, j’adore ça. C’est chouette de pouvoir jongler avec les mots et ça permet de plonger celui ou celle qui écoute dans le contexte historique, ne serait ce qu’en entendant le chant, les expressions et les comportements qu’on peut avoir sur scène.

C’est vrai qu’il y ce côté à la fois un peu sérieux et humoristique avec ce mélange de français un peu ancien et très familier.

Faut savoir mélanger l’ancien et le moderne. Il ne faut jamais tout faire très sérieusement. Donc oui, on se fait plaisir. Même entre les chansons, des bêtises, j’en raconte plein et j’ai beaucoup d’expressions un peu bêtes qui me viennent à la tête et que j’adore aussi partager avec public. Ça fait partie de l’ambiance, de l’univers aussi du groupe.

Est-ce que tu as des influences en particulier concernant l’écriture et le chant en français ?

Oui, Renaud et Jacques Brel. Parce que ça cause en argot, ça cause avec de la poésie. Et et surtout ces chanteurs-là ne chantent pas vraiment. C’est vraiment un transfert d’émotion. Ils savent parfaitement mettre en situation l’auditeur ou l’auditrice dans l’univers de leurs chansons. Ils ont toujours chanté avec leurs tripes et à leur façon. Ça m’a toujours fasciné et j’ai toujours voulu faire en sorte, pas de me mettre à leur niveau parce que c’est quand même s’attaquer à très très gros, mais d’essayer de leur rendre hommage et de remettre au goût du jour un style très ancien mais qui nous va parfaitement.

Pour revenir à votre style en général, il paraît qu’on vous appelle le Alestorm français…

Alors ça, fatalement, quand on fait du pirate metal… Les gens identifient tout de suite avec les premières références qu’ils ont. On en a un bouffé par palanquée de 4000 tonnes, les « Vous êtes les Alestorm » ou alors les «Pirates des Caraïbes». Mais ça, c’est une réaction parfaitement normale et compréhensive de la part des gens. Nous, c’est vrai, très honnêtement, ça soule un peu des fois, mais mais c’est pas grave parce que c’est une réaction normale venant des gens. On a aucun contrôle là dessus, alors on essaye de se défendre en martelant à tue-tête que non, ce qu’on fait, ça ne ressemble pas à Alestorm. On ne veut pas ressembler, surtout pas à Alestorm. Chacun doit avoir son univers propre. Et pour nos collègues de Toter Fisch, c’est pareil. On leur dit la même chose alors qu’ils ont leur propre univers, bien à eux aussi, et c’est normal.

Mais on préfère en rire et rediriger les gens sur le fait que non, ce qu’on fait, ce n’est pas Aletorm. Viens écouter, tu vas voir, ça n’a rien à voir ! Et les gens se rendent compte plus tard. On ne va jamais se mettre en colère ou faire du copier coller dans notre groupe, ce n’est pas du tout l’objectif. Fatalement, oui, c’était une influence dans nos débuts. Maintenant, à titre personnel, je n’aime plus du tout ce qu’ils font. Mais ça, ça n’engage que moi. On essaie de se démarquer. Chaque groupe dans le folk metal essaie de se démarquer, d’avoir son propre univers. On essaie vraiment de développer notre propre style.

Le deuxième album De Charydbe en Scylla est sorti début septembre. Vous dites avoir recommencé plusieurs fois : était-il difficile à composer ?

Oui, parce qu’on a mis la barre un poil haut tout de suite ! A la sortie du premier album, on s’est laissé quelques mois et on s’est vite lancé dans la composition du second album. Il a fallu réfléchir au concept, à ce que l’on voulait faire. Le Mormieben et son équipage, on doit penser qu’il ont existé historiquement parlant. Il faut l’insérer dans la timelime réelle. Combien faut-il de temps pour aller de là à là, qu’est-ce qu’il s’est passé, on est à quelle époque… Ça nous aide a écrire les chansons et à insérer les références historiques et mythologiques. Tout cela a pris pas mal de temps, on a validé des choses au sein du groupe, puis on les a corrigé, jusqu’aux dernières pré-prods. Même lors de l’enregistrement, on a fait quelques corrections. On a voulu le peaufiner encore et encore pour pouvoir en être fiers. On ne regrette pas de s’être pris la tête depuis 2017 pour cet album !

Tout ça nous a permis à tous de progresser. Josselin à la batterie a bien monté en niveau en très peu de temps, Jordan à la basse aussi. Hugo, notre nouveau guitariste rythmique, a du s’y mettre aussi. GP, notre guitariste soliste, est au Danemark et a suivi la composition de là-bas. Damien est arrivé pour le remplacer et on a dû adapter certaines parties. Moi au chant, j’ai dû bossé pour avoir un chant convenable qui me plaise et qui leur plaise aussi. On a perdu Clément, à la guitare rythmique, mais c’est lui qui a enregistré l’album. Il est toujours avec nous mais doit se faire remplacer par Hugo. On a tous progressé, et ça fait vraiment plaisir quand les gens viennent nous voir pour nous dire qu’on a monté en niveau. On espère que ça va continuer comme ça en pensant qu’on peut toujours faire mieux.

Pour ceux qui connaissent le premier album, est-ce que tu dirais que De Charybde en Scylla est dans la continuité, ou au contraire bien différent ? Il me semble que ce dernier est un concept album…

C’est la continuité, il a des liens avec le premier album de part les références qu’on y met. Dans l’introduction par exemple, on y parle de Gerber, l’île, référence direct au «Défense de Gerber» du premier album. En fait, depuis le début de Mormieben et les premiers EP, il y a une histoire dans le fond, une trame que nous, on connait, mais assez difficile à trouver pour ceux qui écoutent. Il y a des liens entre cet album et le précédent, comme il en aura avec le prochain. Cela fait partie de notre univers. On aime à penser que notre groupe est un livre de contes et légendes historiques et mythologiques à scène ouverte. Tant qu’on trouvera les idées et les liens pour tous les unir, on continuera.

Cela veut dire que vous avez déjà pensé à la suite ?

L’album vient à peine de sortir qu’on commence déjà à plancher sur les idées du prochain. On ne s’arrête comme ça, surtout après le belle année 2022 qu’on a eu, on est très motivés. On va confirmer nos idées, et puis ensuite on pourra se mettre au travail.

J’aimerais qu’on parle de quelques titres en particulier. Il y en a un qui se démarque et j’ai beaucoup aimé, c’est «Encalminés».

C’est aussi ma préférée de l’album et plusieurs personnes nous ont nous ont donné de bons retours sur cette chanson. J’en suis personnellement un peu fier puisque c’est la première fois pour moi que je m’essaie au chant clair. C’est typiquement ce que j’expliquais à propos de Renaud et de Brel, sur l’interprétation de la chanson. Et la musique, enfin la composition de cette chanson est monstrueuse aussi. C’est vrai qu’«Encalminés» a bien marqué les esprits puisque c’est aussi la première de son genre pour Mormieben, avec cette émotion aussi. La thématique de la chanson n’est pas drôle et on essaye de le faire comprendre.

Pour ceux qui ne savent pas ce que c’est, un encalminage, c’est ce qui peut arriver de pire quand on est marin et que le bateau fonctionne uniquement à la voile. C’est le fait qu’il n’y ait absolument plus de vent. «L’océan est d’huile, il ne vente plus», comme le disent les premières paroles de la chanson. Le bateau, il est juste là, complètement soumis à la dérive et on ne peut absolument rien faire contre ça. On ne sait pas combien de temps ça va durer. Ça peut durer quelques jours comme ça peut durer plus d’un mois. Et pendant ce temps là, les vivres s’amenuisent, la hiérarchie est complètement impuissante, donc c’est une situation qui est particulière quand on la vie. Et c’est tous ces mélanges de sentiments et d’angoisses, de désespoir, de panique et de réactions extrêmes. Tout ça, on a essayé de le faire sentir aux gens à travers cette chanson là. Donc oui, ça nous a demandé quelques efforts pour réussir à la faire. Mais je pense que l’objectif est atteint et on en est vraiment très contents.

J’ai aussi beaucoup aimé la chanson «De Charybde en Scylla».

«De Charybde en Scylla» , c’est la chanson qui a donné le nom à l’album. C’est la première chanson qui amène l’auditeur ou l’auditrice vers la conclusion de cet album. J’ai un problème personnel avec l’écriture : je ne sais pas condenser. Quand j’écris, je n’arrive pas à faire clair et concis, je suis obligé de m’attarder sur des détails, pour que la personne qui lit ou écoute comprenne bien tout le contexte de l’histoire. C’est pour ça que «De Charybde en Scylla» et «Le retour de Mormieben» sont aussi longues et sont aussi contées. Ces chansons qui sont le plus épiques pour la fin, sont celles où l’on entend le plus l’influence du groupe Finsterforst, sans copier bien évidemment. Ces chansons sur lesquelles, moi, en tant que chanteur, j’ai eu le plus de mal à enregistrer. Il a fallu, juste pour ces deux là, un jour complet, dans le sang et les larmes. Mais ça l’a fait !

Dans dans ce trio final, il y a aussi un morceau instrumental, avant cette conclusion de presque 10 minutes !

Fait amusant, la chanson instrumentale, «Contre vents et marées» fait référence aux premiers EP, par exemple. Voilà, c’est encore une référence, un petit lien qui a été semé dans le nouvel album. Il y a dans le nouvel album deux refontes de très, très vieux titres à nous qui sont cachées.

Est-ce que parmi les titres du nouvel album, vous prévoyez d’en sortir un en single ? Peut-être un clip à venir ?

Oui, des clips sont prévus. On a plein d’idées et on se demande si le prochain sera sur une captation live, ou sur un lieu de tournage, en animation… Mais pour tout ça, il faut de l’argent, c’est le nerf de la guerre ! On va faire en sorte de proposer quelque chose de qualitatif avec les moyens du bord jusqu’à ce qu’on puisse faire encore mieux… Mais c’est en cours effectivement !

En attendant, revenons sur cet été. Comme tu le disais, 2022 a été plutôt pas mal puisque vous avez joué au Hellfest, puis au Motocultor en remplacement de dernière minute !

Cela a été une opportunité extraordinaire. Ces deux festivals là, les deux plus gros festivals de metal en France, la même année… On estime que ce n’est pas donné à tout le monde et on a conscience de la chance qu’on a eue.

Le Hellfest, c’était mortel. On a eu beaucoup de monde, on a eu un créneau horaire en or et l’accueil a été très, très chaleureux. On a pris un plaisir monumental à jouer là-bas. Mention spéciale pour le ring devant la scène… Et le Motocultor derrière… On a appris le samedi pour le dimanche qu’on allait y jouer. Ça va être une anecdote que je vais adorer raconter encore et encore, et c’est le cas pour tous les gars du groupe. Même le régisseur plateau là-bas n’aurait pas parié qu’il y aurait autant de monde pour nous voir à 14h10 le dimanche. C’était plein jusque derrière la régie. C’était vraiment incroyable. Passer sur une scène officielle, une grande scène où étaient programmés de grands groupes… Au départ, on se sent pas trop légitime, et puis en fait si, on est légitimes, il va falloir qu’on se le dise et qu’on le prouve ! Le public a aussi été très réceptif, a participé, et cela fait aussi partie de l’univers de Mormieben. Si tu viens, prépares-toi à passer un bon moment et à te marrer.

Et maintenant, où peut-on vous voir ? Des concerts à venir ?

Oui, il y en aura ! En novembre. Le prochain sera à Nantes le 24 novembre, au De Dannan pour les Cultures Bar Bars. Normalement on joue aussi le 26 novembre à Lille en compagnie du groupe Sorcières. Petite précision pour le concert de Lille : je ne pourrais pas m’y rendre ! Alors, tu te dis, un concert sans chanteur, c’est particulier ! Mais c’est ce qui est bien avec la piraterie, c’est que le capitaine peut parfois laisser sa place. C’est une démocratie. Alors, il y aura quelqu’un pour me remplacer, mais je n’en dis pas plus : vous verrez ! Voilà pour le moment. Ensuite, à vous de nous suivre sur les réseaux pour voir nos dernières infos !

On va suivre tout ça de près ! Tu veux partager une dernière chose ?

J’aimerais remercier toutes les personnes qui ont vu les premiers pas du groupe et qui sont encore là, surtout nos familles qui se sont beaucoup investies. On espère vraiment mettre notre empreinte dans la grande famille du metal, et on espère réellement que le chant en français sera un peu plus représenté. On va prouver que non, c’est pas has been ! Viens au prochain concert, quand on va causer, tu vas voir ça va être chouette ! Et merci à toi pour cette interview !

Interview réalisée le 22 septembre 2022. Merci à Gobrian et à Clément !

MORMIEBEN – De Charybde En Scylla

Sortie le 3 septembre 2022

CD / Merch : https://mormieben.bandcamp.com

Streaming : https://li.sten.to/mormieben

Flora

Rédactrice en cheffe et créatrice de Long Live Metal

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